La colonialité du genre, ou comment « sauver » les victimes migrantes des violences conjugales
Author(s) : Faten Khazaei
Source : https://www.ethnographiques.org/2022/Khazaei
Abstract:
Cet article s’appuie sur une recherche empirique menée sur l’accueil des femmes subissant des violences conjugales dans un centre hospitalier en Suisse romande. Le cadre d’analyse mobilise l’intersectionnalité pour montrer comment l’identité nationale suisse est convoquée par le personnel de santé, face aux femmes migrantes, pour leur faire prendre conscience que leur situation est une situation de violence non admise en Suisse. Cette invocation de la loi suisse sous-entend que le manque de conscience de ce que ces victimes vivent aurait pour cause leur culture d’origine, culture où ces violences seraient censément tenues pour normales. Parallèlement, le manque de conscience des Suissesses des violences subies est mis sur le compte d’un problème psychologique à traiter par la thérapie. Dans une perspective d’évaluation des politiques publiques, les résultats démontrent qu’au final, la prise en charge institutionnelle de ces femmes échoue à protéger de manière adéquate toutes les victimes de violences conjugales, quel que soit leur catégorisation ethnoracisée. De plus, cette recherche illustre de manière théorique comment les rapports intersectionnels entre le genre et la race doivent être complexifiés de manière à prendre en compte la colonialité du genre en train de se faire, au cours de ces échanges étudiés entre le personnel de la santé et les femmes victimes de violences conjugales.
Mots-clés : intersectionnalité, violences conjugales, sexisme et racisme, institutions médicales, colonialité du genre
This article is based on empirical research on how women suffering from intimate partner violence are received and counseled by a hospital in French-speaking Switzerland. The analytical framework mobilizes intersectionality to uncover how Swiss national identity is invoked by healthcare professionals working with migrant women, with the aim of making them aware that the violence they are experiencing is unacceptable in Switzerland. The invocation of Switzerland in this discourse implies that these victims’ presumed lack of awareness of what they are going through is rooted in their culture of origin, a culture where this violence is supposedly considered normal. In contrast, Swiss women’s similar lack of awareness of the violence they are experiencing is attributed to psychological problems, to be treated through psychotherapy. From the perspective of public policy evaluation, the results show that, in the end, the institutional response to both categories of women fails to adequately protect them from intimate partner violence, though in different ways. From a theoretical perspective, this research highlights how the intersectional relationships between gender and race must be complexified in order to take into account the coloniality of gender as it is “done” in the exchanges between healthcare professionals and women victims of intimate partner violence.
keywords : intersectionality, domestic violence, intimate partner violence, sexism and racism, medical institutions, coloniality of gender